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Psychothérapie

Qu'est-ce qu'une psychothérapie ?

Plutôt que de vous donner une définition théorique, je vous propose de prendre connaissance de la psychothérapie au travers d'une histoire. Celle-ci constitue le chapitre 1 du livre de William F. Cornell: 'une voie pour soi' qui est paru aux Editions Payot en septembre 2015; ouvrage que j'ai traduit de l'américain avec ma collègue Tina Bezzola. Si par ailleurs,vous souhaitez connaitre les différences entre les différents types de 'psy' je vous invite à cliquer sur le lien suivant: www.cifpr.fr/-Carre-psy-dossier-

Dans quoi est-ce que je m’embarque ?

Nous ne venons pas au monde en sachant comment vivre les vies dans lesquelles nous nous apprêtons alors à entrer. Lorsque nous avons suffisamment de chance, nos toutes premières années nous apprennent que l’on peut prendre soin les uns des autres, que nos relations nous aident à nous sentir en sécurité au fil de notre croissance, de notre développement et que nous sommes bienvenus dans cette vie. Alors que nous grandissons et si nous demeurons assez chanceux, nos années d’enfance et d’adolescence sont l’occasion d’immenses apprentissages et de développement de compétences. Une vie satisfaisante est une vie riche en aptitudes. Elle est le produit de beaucoup de savoirs nourris par l’intérêt et le soutien de ceux pour lesquels nous comptons. Nous avons besoin d’acquérir de nombreuses compétences : compétences dans la création et le maintien de liens sociaux et d’amour; compétences pour se séparer et se différencier ; compétences en résolution de conflits, à l’expression d’une agressivité saine et constructive ; compétences dans le travail ; pour jouer ; compétences à réfléchir et à donner du sens à la vie ; compétences à gérer la frustration, l’échec et les bassesses personnelles ; compétences à vivre la sexualité et l’intimité. La plupart d’entre nous arrivons à l’âge adulte avec un éventail convenable de ces compétences grâce à des environnements familiaux et scolaires porteurs. Lorsque c’est le cas, il est fort probable que le milieu accompagnant notre croissance nous aide à accepter et à intégrer des aspects du Moi dissonants et parfois conflictuels.

Mais en même temps, la plupart d’entre nous a des lacunes considérables voire de flagrantes et béantes failles dans les capacités émotionnelles et psychologiques mobilisées pour affronter tout ce que la vie met sur notre chemin. Elles peuvent ébranler notre sentiment du « possible » dans la vie. Nous essayons de nous appuyer sur ces compétences familières pour les dissimuler ou les compenser. Ce sont précisément ces manques dans notre capacité à vivre pleinement notre vie qui nous amènent généralement en psychothérapie; à la recherche d’un lieu où il est possible d’apprendre à les reconnaitre, à les réparer.

Rares sont les personnes qui entrent en thérapie avec un état d’esprit joyeux et satisfait. Bien plus souvent, c’est lorsqu’elles se vivent troublées et malheureuses au travail, dans leurs relations qu’elles font le pas. En arrière-plan du problème présenté, elles sont fréquemment tourmentées par la relation interne avec elles-mêmes. Elles commencent bien trop souvent la thérapie avec la croyance profondément ancrée que quelque chose cloche chez elles (ou chez tous les autres). Nombre d’entre elles souffrent d’une perception subjective de défauts de caractère, de souillure par le péché, de bêtise, d’échecs, de honte ou du sentiment de ne pas mériter d’être aimées. Certaines attribuent ces défauts à ceux qui les entourent ; rejetant ainsi sur les autres la responsabilité de leur propre malheur. Mais quel que soit le cas de figure d’un individu en particulier, peu entrent en psychothérapie avec espoir et optimisme.

Suzanne, avait juste passé la cinquantaine et envisageait de prendre sa retraite de son poste à l’université. Elle n’était ni heureuse ni satisfaite de sa vie. Nous étions assis pour notre première séance. Comme d’habitude, j’étais alors centré sur le recueil des principaux faits de sa vie et des raisons l’amenant à envisager une psychothérapie - c’était pour moi de la routine – lorsqu’elle demanda abruptement : «Alors dans quoi est-ce que je m’embarque ici ? » Ma « routine » en fut perturbée. Je répondis plutôt embarrassé que je ne saisissais pas vraiment le but de sa question. Elle expliqua qu’elle voulait savoir comment fonctionnait réellement la psychothérapie. Elle voulait s’assurer, autant que possible, qu’elle dépenserait valablement le peu de temps et d’argent dont elle disposait. Elle disait connaitre des personnes ayant vraiment changé à l’issue d’une psychothérapie, tout en ajoutant : « mais je ne comprends pas en quoi cela consiste, ni comment cela fonctionne ».

Une réponse étayée et brillante ne jaillit pas instantanément de mon esprit ni sur mes lèvres. Comment est-ce que cela fonctionne ? Me demandais-je intérieurement. Dans quoi est-ce que moi aussi je m’embarque en tant que thérapeute avec cette femme très intelligente et malheureuse ? Je savais bien évidemment ce que les manuels disent des mécanismes de la psychothérapie, ce que Freud suggérait et ce que mes différents modèles théoriques m’avaient enseigné à penser. Mais ce n’est pas vraiment ce que Suzanne questionnait.

Lorsque Suzanne me demanda dans quoi elle s’embarquait ; reconstituant notre échange environ vingt ans plus tard, ma réponse fut en partie quelque chose comme : « Nous examinerons les éléments de votre vie ne fonctionnant pas efficacement. Nous regarderons si nous pouvons en comprendre les raisons et comment vous pourriez faire différemment. Nous travaillerons également de manière active avec ce qui émergera entre nous au fil du développement de notre relation. L’un comme l’autre – à tout instant – nous pourrons aborder directement celle-ci : les conflits, les critiques, les surprises, les erreurs, les déceptions, les impatiences, les excitations, les malentendus. Tout ce qui pourrait en affecter la qualité et l’efficacité. Au quotidien, ces éléments tendent à exclure ou à déformer des aspects de la réalité et au cours de la thérapie, nous sommes enclins à recréer les mêmes vécus. Nous avons à identifier, comprendre et changer ces schémas. Faire cela n’est pas toujours agréable, mais ici c’est l’endroit pour s’y exercer ». Mes commentaires étaient basés sur certains principes fondamentaux de l’Analyse Transactionnelle. Ceux utilisant les interactions réelles entre thérapeute et patient - alors même que celles-ci surviennent – afin d’explorer et comprendre les difficultés de ce dernier. « Pas mal comme improvisation » pensais-je en moi-même sur le moment. Tout en sachant qu’il y avait probablement bien plus à dire.

Jamais personne auparavant ne m’avait posé cette question plutôt évidente en début de thérapie. J’ai appris depuis que beaucoup de patients l’ont alors à l’esprit, mais ne se sentent pas libres de la poser. Ce fut lors de cette rencontre initiale avec Suzanne que j’ai réalisé qu’une telle discussion préliminaire permet de bâtir des fondations majeures pour le travail thérapeutique qui suivra. La psychothérapie suppose un effort à la fois ardu et excitant. C’est un travail. Un travail la plupart du temps gratifiant. Et comme tout travail, il peut être difficile et frustrant. La relation thérapeutique peut être agréable et soutenante à certains moments ; tout en étant éprouvante, conflictuelle et même désorganisatrice à d’autres. Les croyances et les façons d’être à propos de soi, de la vie et des autres qu’une personne peut avoir considérées comme évidentes seront questionnées. Elle offre l’opportunité d’examiner la manière dont on est intérieurement en relation avec soi-même et interpersonnellement avec les autres. Elle interroge les relations actuelles d’une part et elle examine d’autre part l’ influence persistante des relations vécues dans l’enfance sur la formation de nos habitudes en matière de croyances, de ressentis et de comportement. Mais surtout, la relation entre thérapeute et patient – dans l’ici et maintenant – est une des relations les plus importantes à étudier comme moyen de compréhension de soi et de changement.

Suzanne avait mené une vie plutôt intéressante jusqu’au jour où elle décida d’envisager une psychothérapie. A l’époque où elle pensait prendre sa retraite de son poste de professeur d’université et de pasteur du campus ; sa vie d’un point de vue externe –pouvait paraître jalonnée de projets accomplis et remplie de satisfaction personnelle. Elle appartenait à cette minorité de femmes ayant obtenu leur admission dans un séminaire de théologie renommé pour finalement être ordonnée pasteur et devenir professeur de théologie. Mais elle ne retirait pas de grande satisfaction ou de fierté de ses succès professionnels.

Suzanne était la seule de sa fratrie à avoir quitté la zone pauvre et rurale où elle avait grandie. La seule à être allée à l’université. La seule à avoir reçu publiquement de notables éloges professionnels. Cela n’empêchait pas pour autant qu’elle soit « le mouton noir » de sa famille. Alors qu’elle approchait de la retraite, celle-ci la rejettait. Au cours de cette bataille professionnelle d’une vie durant, elle était restée seule, n’avait pu entretenir des relations personnelles étroites et souffert d’épisodes dépressifs récurrents. Elle était terrifiée à l’idée d’une retraite ponctuée sans cesse par la solitude et la dépression. Elle décida d’engager une psychothérapie pour voir si elle pouvait comprendre et changer ses tendances dépressives, sa propension à l’isolement et s’aménager ainsi une retraite différente.

Suzanne, comme beaucoup de personnes entreprenant une psychothérapie réussissait fort bien dans certains domaines de sa vie tout en étant perdue et inefficace dans d’autres. Elle avait consciemment choisi une psychothérapie en Analyse Transactionnelle parce qu’elle avait lu plusieurs livres d’A.T, les ayant trouvés sensés et quelque peu aidants. Elle avait suffisamment lu et discuté avec des collègues pour savoir que nombre d’auteurs en Analyse Transactionnelle et de chefs de file en matière d’organisation étaient des femmes. Certaines avaient même contribué à la littérature féministe ; laquelle avait beaucoup de valeur à ses yeux. Elle disait mieux se comprendre par la lecture sans pour autant réussir à changer de manière significative son mode de vie. Elle m’avait choisi comme thérapeute parce qu’elle savait que – parmi d’autres pratiques - j’avais été formé en Analyse Transactionnelle.

Suzanne réalisait qu’il lui faudrait suivre une thérapie psycho-dynamique au long cours même si elle ne savait pas exactement ce que cela entrainait. Elle n’ignorait pas, d’une certaine manière, avoir besoin de l’aide d’un professionnel afin d’examiner et de modifier la façon dont elle avait vécu sa vie jusqu’alors. Lors de cette première séance, elle me dit qu’elle préférerait être morte plutôt que de vivre le restant de ses jours sur le même mode qu’auparavant. Elle avait le sentiment d’avoir enduré la mort tout en étant vivante et la vie tout en étant à moitié-morte. Ce n’était pas une menace de suicide. Mais ce n’était pas précisément non plus une étreinte enthousiaste de la vie et ses perspectives. Elle voulait savoir en quoi consisterait ce que nous allions faire. La nature d’une psychothérapie au long cours est un mystère pour beaucoup de personnes. Ce n’est pas une façon habituelle et familière d’être en relation avec quelqu’un d’autre. Des images de « psy », de « devin » et de gourou viennent souvent à l’esprit. La psychothérapie commence par la rencontre de deux personnes ne se connaissant pas, chacune ayant au départ ses impressions et ses fantasmes à propos de l’autre. Au cours de notre séance initiale, je me suis retrouvé bataillant à l’intérieur de moi-même à propos de mes réactions premières vis-à-vis d’elle. D’un côté, je l’admirais (et j’étais un peu intimidé) . De l’autre, je redoutais de ne pas pouvoir lui apporter une quelconque aide réelle. Je ressentais une pression intense. J’imaginais que la relation que nous allions tisser offrirait à Suzanne un exemple vivant du possible entre humains et une ouverture sur de nouvelles options pour sa vie. Mais simultanément, je sentais que si « j’échouais » ; elle pourrait passivement ou activement mettre fin à ses jours. Si nous poursuivions au-delà de cette première séance, elle me confiait sa vie. Je n’étais pas sûr de vouloir endosser cette responsabilité.

Essayer de donner du sens à la vie, aux autres et à nous-mêmes appartient à la nature humaine. En permanence nous créons et racontons des histoires. Enfant nous les écoutons, puis nous nous les lisons. Nous pouvons même les écrire et les regarder à la télévision et au cinéma. Les histoires peuvent exciter, apaiser, perturber, expliquer ou divertir alimentant ainsi de nombreuses et importantes fonctions psychologiques et émotionnelles. Nous avons tous des histoires favorites issues de notre enfance ou relatives à celle-ci. Nous grandissons avec des histoires de famille et nous avons nos propres souvenirs d’événements importants de cette époque. Les histoires nous aident à donner du sens à la vie. Elles ne fournissent pas seulement une chronique événementielle, mais produisent également des récits porteurs d’attentes et d’éléments de sens. Les histoires d’une vie peuvent être vécues comme un roman historique, une grande aventure, un conte de fée, de la science-fiction, une histoire d’amour, une série noire, un thriller, une tragédie ou même comme une mauvaise blague. Suzanne aurait probablement décrit l’histoire de sa vie comme tombant quelque part entre une tragédie et une mauvaise blague.

Nous avons une soif innée de structure. Une soif générant un sens interne de qui nous sommes et rendant la vie autour de nous plus prévisible. Ce besoin de structure nourrit une tendance à élaborer des explications sur nos vies, des histoires, pouvant offrir une stabilité psychologique et du sens. Mais ces histoires peuvent aussi limiter notre vision du possible pour nous-même et pour les autres. La puissance de celles de l’enfance peut être telle qu’elle nous amène à transformer de nouvelles expériences en un « même vieux truc »; sans que nous remarquions la nouveauté de ce qui vient juste de se passer. La force de ce « même vieux truc » peut créer des schémas faisant paraître les conséquences de nos actions comme inévitables et le changement impossible.

Exemple. Les éloges habituels relatifs à Suzanne, donc des appréciations faites de l’extérieur, la qualifiaient de femme intelligente, indépendante et de principes élevés. Etant son thérapeute, je ne contesterais pas ces qualificatifs. Au demeurant, venant à mieux la connaitre, je sus que son histoire de vie, telle qu’elle en avait fait l’expérience, était considérablement plus décevante et compliquée. Elle était - souvenez-vous - stigmatisée comme « le mouton noir » de la famille, la marginale, la fille et la sœur non désirée. Elle était la cadette imprévue, un fardeau pour sa mère qui la confia aux soins des plus âgés de la fratrie. Les frères et sœurs de la petite Suzanne étaient déjà des adolescents et ils n’accueillirent pas avec plaisir un nouveau bébé. Ils ne voulaient pas s’embêter à servir de baby-sitter ou de substituts aux parents. Ce ressenti récurent de n’être jamais réellement désirée ou vécue avec plaisir bâtit les fondations inconscientes d’histoires qui définissaient le sens qu’elle donnait à sa place parmi les autres et à la représentation qu’ils pouvaient avoir d’elle. Cela créa aussi un clivage dans sa manière de penser à propos d’elle-même. Clivage l’amenant à développer un Moi public marqué par de la fierté vis-à-vis de son indépendance. Mais fierté cachant un Moi mourant d’envie d’être en lien avec les autres. Un Moi qu’elle en vint à rejeter à l’intérieur d’elle-même.

Suzanne en vint progressivement à conclure que dépendre de quiconque n’était pas une bonne chose. Elle avait une multitude de souvenirs mis en histoires qui renforçait son jugement. C’étaient elles qui l’informaient, la modelaient et la définissaient. Ce fut son lot. Elle en vint à se considérer comme un fardeau secrètement non désiré mais accepté à regret par son entourage même au cours de sa vie d’adulte. Elle ne quitta pas la maison parce qu’elle le voulait mais parce que l’on ne voulait pas d’elle. Personne ne voulait qu’elle reste. Tous ses frères et sœurs restèrent dans les environs et demeurèrent impliqués dans les vies de famille des uns et des autres. Pour elle, quitter la maison pour l’université fut une sorte de bannissement. Aucun des membres de la famille ne vint lui rendre visite alors qu’elle y résidait. Ils trouvaient assez menaçants tous les aspects de sa vie dans une université urbaine.

Jeune fille, Suzanne vécut l’église comme réconfortante. L’intimité de la prière et les rêveries religieuses furent très apaisantes pour son âme souffrant de solitude. Le pasteur de la paroisse eut un peu de gentillesse envers elle. Elle en vint à s’identifier à lui et finalement entra dans le séminaire d’une grande ville, espérant offrir aux autres la qualité de réconfort qu’il lui avait apportée. Cependant, une fois au séminaire, elle se retrouva arrachée à sa famille et au confort d’une petite paroisse rurale. Elle atterrit dans une communauté académique dominée par des hommes arrogants n’aimant pas et vraisemblablement craignant les femmes. Ils n’étaient pas le pasteur de la paroisse gentil et sensé avec lequel elle avait grandi. Elle se vécue à nouveau comme un mouton noir à la fois importun et non désiré. Compte tenu de ce qui avait été toujours l’expérience de vie de Suzanne, être un mouton noir au sein du séminaire lui parut inévitable et en quelque sorte mérité. La même vieille histoire se poursuivait.

Les thérapeutes analystes transactionnels qualifient souvent ce type d’histoires au sujet de soi et du monde de « scénarii » de toute une vie. Le terme de scénario plutôt que celui d’histoire saisit ce que fréquemment nous ressentons, à savoir que ces histoires ont comme été écrites pour nous au sein de nos familles puis nous ont été imposées. Bien qu’au moins partiellement (et souvent inconsciemment) , nous créons celles-ci nous même; il est fréquent que nous ayons la sensation de suivre les désirs de quelqu’un d’autre. Comme si, nous prononcions les répliques d’un scénario de pièce de théâtre ou de film que l’on nous tendait. C’était dans ce concept de ses lectures d’analyse transactionnelle que Suzanne se reconnaissait le plus. Elle avait un sentiment profond d’être encore piégée dans les rôles du scénario imposés par sa famille et renforcés à l’université.

Enfant, en quête d’adaptation à nos familles et à nos cultures, nous créons des rôles afin d’avoir un sentiment d’appartenance et d’éviter les désapprobations. Progressivement, mais de manière répétée, ces expériences des premières années entretiennent des scripts qui s’enracinent profondément dans nos psychés en formation. Avec pour résultat le sentiment de recevoir des leçons fondamentales, incontestables à propos de « qui nous devons devenir » et de ce à « quoi ressemblera notre vie ». Certaines séquences de nos histoires personnelles peuvent être excitantes, imprévisibles et ouvertes. Mais les aspects « scénariques » d’une histoire de vie sont ressentis comme de profondes ornières sur une route bien défoncée.

Sommes-nous les auteurs d’une histoire ou le personnage que quelqu’un d’autre aurait conçu pour nous? L’un des aspects importants du fonctionnement de la psychothérapie est que thérapeute et client travaillent ensemble pour identifier ces histoires persistantes et contraignantes. C’est un autre aspect de la réponse à la question que m’avait posée Suzanne lors de notre première rencontre. Au cours des premières heures de notre travail, je ressenti l’impact de ses histoires de vie. Je me demandais si je serais capable de l’aider à se libérer quelque peu du sentiment d’avoir été non désirée tout au long de sa vie. A cette époque également, débuta inconsciemment pour moi, le fait que je la ressente comme fardeau. De nombreuses heures allaient défiler au cours desquelles je ne me réjouirais pas de la voir ni me vivrais comme accueillant à son égard.

Suzanne, désignée mouton noir de sa famille, était extrêmement sensible au moindre signe de ma part pouvant signifier que je ne l’appréciais pas ou « que je voulais me débarrasser d’elle ». Elle avait anticipé depuis le début – et avant même de me rencontrer – que comme psychothérapeute, j’aurais des préjugés sur son orientation religieuse, considérant celle-ci comme infantile ou stupide. Elle s’attendait à ce que je veuille la rejeter. Si j’oubliais quelque chose d’une séance précédente, elle le percevait comme la preuve que « dès que je suis hors de votre vue, je suis hors de votre esprit». Notre travail commun failli capoter lorsque je mis un autre patient sur son heure de séance après mes vacances. Bien que je reconnu l’erreur comme mienne et que l’autre patient ait accepté de revenir à un autre moment ; elle eut le sentiment que je l’avais humiliée, que c’était la preuve manifeste d’un manque d’intérêt à son égard et que je voulais « me débarrasser d’elle ». Dans son esprit, il paraissait parfaitement évident qu’elle était en quelque sorte devenue une charge pesante ou une corvée pour moi. Elle se sentait à nouveau un fardeau pour une personne sur laquelle elle avait espéré s’appuyer … Comme il en avait toujours été le cas dans sa famille. Il lui sembla donc préférable de quitter le traitement dès le premier signe de difficultés plutôt que d’attendre un inévitable rejet de ma part.

Mon impair et la réaction de Suzanne à ce sujet devinrent un moment-pivot dans sa thérapie. Il était clair pour elle que nous étions tous les deux extrêmement mal à l’aise face à mon erreur mais que je ne m’étais pas « débarrassé d’elle ». Elle pouvait percevoir ma tolérance envers mon propre inconfort tout en maintenant mon engagement dans son bien-être. Un espace émotionnel lui était ainsi fournit où nous pouvions commencer à examiner ses différentes réactions envers mon oubli de son rendez-vous. Il lui était possible d’entrevoir que son unique compréhension de mon erreur était de saisir celle-ci comme un indice de mon désir de me défaire d’elle. Elle pouvait considérer que cette explication habituelle était une expression de ses histoires de vie imposant un sens particulier à ce qui s’était passé. Si cette interprétation s’était avérée exacte, cela aurait fait sens qu’elle se prépare dès à présent (comme d’habitude) à quitter un autre lieu d’espoir important et une fois encore cheminer seule.

Suzanne commença à voir, de manière très timide, que cette explication toute faite ayant persistée toute sa vie ne correspondait pas toujours à la réalité des faits. Alors qu’avec moi elle pouvait percevoir la puissance de ses attentes contraignantes – ces routines psychologiques bien éculées – elle devenait de plus en plus clairvoyante sur elle-même. Elle commença à se distancier de la puissance des histoires de son passé et à voir comment ces suppositions jouaient dans d’autres relations comme dans la nôtre. Elle réalisa qu’il y avait eu d’autres moments où elle avait supposé qu’elle était devenue indésirable ou un fardeau pour quelqu’un et avait quitté la relation. Elle devint consciente que d’autres raisons pouvaient générer des difficultés dans les relations et que des solutions pouvaient être trouvées lui permettant de rester au lieu de partir. Pour elle, comme pour la plupart d’entre nous, ces récits de vie imprégnés d’histoires d’échec et de déception sont douloureusement familiers et en même temps cependant, leur force et leur automaticité demeurent inconscientes.

La mise en acte inconsciente des histoires de vie d’une personne au sein de l’environnement thérapeutique est le plus communément appelée transfert. Cet exemple des réactions transférentielles de Suzanne envers moi souligne l’une des tâches les plus importantes du psychothérapeute et un aspect crucial du fonctionnement de la psychothérapie au travers du transfert. Dans le cas présent, sa réaction transférentielle reflétait ses expériences précoces de l’enfance d’être un fardeau non désiré pour ceux qui l’entouraient. Quand le transfert n’est pas examiné et compris, il a le pouvoir de réduire toute nouvelle relation en la même vieille et prévisible histoire. L’analyse du transfert est un moyen inestimable de prise de conscience et d’identification de schémas. Souvent dans les relations de travail, d’amitiés et dans nos liens les plus intimes nous activons des éléments de nos histoires« scénarisées » sans en être conscients. Nous nous sentons au contraire résignés face à des modes de relation prévisibles, des déceptions inévitables. Tellement peu de vécu nous semble nouveau ou créatif. La thérapie nous engage dans un examen mutuel, approfondi, respectueux de comment et pourquoi nous faisons ce que nous faisons. Une partie du travail du thérapeute - une compétence requérant énormément de formation et de pratique – est de se tenir simultanément dans et en dehors de la relation alors qu’elle se développe. La thérapie procure un espace dans lequel il est possible de réfléchir ensemble et d’expérimenter d’autres modes relationnels chargés de sens nouveau.

Bien évidemment, le thérapeute est aussi un être humain avec un passé. En travaillant avec Suzanne, je faisais jouer inconsciemment le mien entre nous. Pour ce qui me concerne, alors que je reconnaissais et endossais la responsabilités de mon erreur ; je n’examinais pas en moi-même les raisons de celle-ci de la même manière que Suzanne et moi avions examiné ses réactions. A part le souhait de bien faire les choses et de ne pas répéter mes erreurs, je n’avais pas encore la formation ou la capacité d’appréhender de manière constructive mes propres réactions transférentielles envers mes patients. C’est ainsi que l’expression de mon passé personnel déformait et limitait mon mode de relation avec ceux-ci. J’acquérerai cette compétence au fil de ma formation et de mon développement professionnels.

Dans ma famille, je suis l’ainé et dès un très jeune âge je fus le fils responsable d’une mère dépressive et solitaire (mon père absent était également un mari absent). La dépression et la solitude de Suzanne avaient un impact élevé sur moi qui n’était pas de son fait mais le produit de mon propre passé et des vulnérabilités qui en découlaient. Alors que je ne la rejetais d’aucune manière manifeste, elle était réellement pour moi un fardeau. Lorsque j’y pense aujourd’hui, je peux parfaitement imaginer qu’elle percevait mes réactions non exprimées (et souvent inconscientes) de me sentir accablé et responsable à l’excès de son bien-être. Regardant en arrière des années après, je peux constater que, rentrant de vacances, je me réjouissais de la revoir. Mon doublon de séances – preuve évidente de « loin des yeux, loin de la pensée » – était l’expression inconsciente de mon anxiété et de mon ambivalence vis-à-vis du caractère pesant de la responsabilité que je ressentais dans le travail avec elle. Je peux voir maintenant combien souvent j’eu le sentiment qu’il n’y avait pas de place pour l’erreur avec Suzanne…et c’est pourquoi j’en fis une. Comme un test inconscient pour voir si nous pouvions y survivre.

Ce fut dans le contexte de mon transfert inconscient de solitude et de dépression que je fis une autre erreur mais plus grave cette fois-ci en suggérant à Suzanne de prendre un antidépresseur. Je m’étais convaincu que c’était dans son propre intérêt et professionnellement responsable. Inconsciemment, je voulais un cachet pour partager, épauler ou soulager quelque peu la pression que je ressentais du fait de la tristesse de sa vie. Elle avait besoin que je reconnaisse et supporte cette tristesse. Je me disais en moi-même que je voulais qu’elle s’en débarrasse, s’en soulage. Mais en fait, c’est moi que je voulais soulager. Elle pris immédiatement ma suggestion pour un rejet et comme une indication qu’elle était « en trop » pour moi. Ce que je niai bien sûr. Fort heureusement, elle fut capable de se défendre et de refuser ma proposition. Et heureusement, j’acceptai son choix. Mais à ce moment-là de mon évolution professionnelle, je ne savais pas comment lui parler de ma propre réaction transférentielle vis-à-vis d’elle. Je me sentis seulement honteux de ma démarche en constatant sa force et sa détermination dans l’acceptation du stress émotionnel de la thérapie sans l’aide de médicaments. Jamais je ne reconnue ma recommandation pour une médication (ou ma motivation pour ma recommandation) comme une erreur envers elle ; mais jamais non plus je ne l’ai oubliée. Il me faudra des années avant que j’apprenne à utiliser mes propres réactions transférentielles face aux pressions émotionnelles que je ressentais du fait de mes patients.

L’insight [2] est un autre élément essentiel du fonctionnement de la psychothérapie. Son développement est une compétence qui s’acquiert par apprentissage. Comme la plupart d’entre eux, il nécessite un formateur et beaucoup de pratique. Avec cette dernière, l’insight nourrit l’esprit qui devient plus puissant, plus flexible ; tout comme l’exercice physique peut nourrir un corps et le faire évoluer de la même manière. Ce n’est pas toujours un processus agréable d’entreprendre ce type d’auto-examen et de voir les pièges que nous installons pour nous-même. Il peut être difficile à réaliser sans les yeux, les oreilles et l’esprit d’un autre ; ce qui est une part importante de ce qu’apporte un thérapeute. Souvent lorsqu’un patient commence à parcourir les chemins tracés et retracés de ces histoires de toute une vie, il peut rencontrer un profond ressenti d’échec, de dépression, de désespoir ou de honte. Le thérapeute doit maintenir une attitude de curiosité et de respect qui aidera à rendre plus acceptable l’expérience d’insight et d’auto-examen. Les histoires lorsqu’elles ne sont pas liées au « scénario » expriment souvent nos souhaits, nos désirs, nos forces et notre créativité. La curiosité, le respect et l’insight offerts en psychothérapie permettent d’avancer efficacement vers la restauration de la vitalité de nos histoires et de surmonter le caractère mortifère des scénarii de vie. Il n’y avait pas de place dans l’histoire de vie de Suzanne pour la compagnie et la curiosité d’un autre. Chaque fois que je faisais une erreur, cet élément de son scénario était temporairement renforcé. Depuis le début de notre travail, elle s’était toujours préparée à être rejetée et à devoir, une fois encore, faire seule son chemin.

Suzanne me signala lors de la première séance qu’elle avait gagnée en insight en lisant des ouvrages basés sur l’Analyse Transactionnelle mais qu’elle ne réussissait pas à transformer en action dans sa vie quotidienne la compréhension qu’elle avait acquise par les livres. L’insight est en premier lieu un processus cognitif. C’est une condition nécessaire mais souvent insuffisante pour changer. L’expérience de Suzanne de gagner en insights via la lecture mais d’être incapable de les mettre en application n’est pas rare. Elle était et n’était pas effrayée de prendre sa retraite. Son souhait d’une vie avec moins de dépression et plus d’intimité était accompagné de peur, de colère et de honte – Hantée qu’elle était par son histoire d’échec personnels dans ses relations avec les autres et leurs rejets. Changer cela à un niveau personnel semblait insurmontable. En tant qu’adulte, elle était capable de mobiliser sa colère au profit de causes professionnelles : le droit des femmes au sein de son église, la responsabilité de cette dernière envers les personnes défavorisées ou l’importance de la liberté universitaire et religieuse dans la vie du campus. Dans ces contextes, sa colère lui permettait de réaliser beaucoup de choses. Mais elle ne réussissait pas à amener celle-ci à prendre en charge la solitude de sa propre vie. Dans ses relations personnelles, elle la conduisait à quitter ses amis plutôt que d’aller vers eux. Elle la poussait à rompre plutôt que d’exiger véritablement de ceux dont elle attendait le plus ou encore d’aller vers les gens qu’elle désirait. Dans ses relations personnelles, sa colère l’éloignait, ne la rapprochait pas des gens. Même dans nos séances, révéler son désir d’être plus proche d’amis était ressenti comme effrayant et honteux. Tout ce qu’elle pouvait imaginer, c’était qu’elle s’exposerait alors au désintérêt des autres et ainsi à encore plus de rejet et d’humiliation. La dépression suscitée par sa solitude semblait préférable à l’humiliation du rejet. Elle pouvait être seule et mieux se comprendre par la lecture ; mais elle ne pouvait pas être seule avec ses livres et imaginer comment se changer afin de se rapprocher plus efficacement des autres.

Il y eut, inévitablement, des moments de conflit importants et difficiles entre nous. Les avons-nous parfois évités ? Oui, bien sûr. Nous arrivions quelques fois à saisir nos évitements et examiner ce qui se passait et même, de temps en temps, à rire de nous-mêmes. Mais le plus souvent, l’un ou l’autre, était capable de faire un pas en avant et d’affronter conflits et incompréhensions. Et de cette manière, Suzanne fut en mesure de voir comment la colère et le conflit peuvent céder le passage à de nouvelles compréhensions et rapprocher les individus.

Au cours d’une thérapie, typiquement, les patients se trouvent renvoyés aux expériences de l’enfance alors qu’ils explorent de nouvelles possibilités pour le temps présent. Suzanne avait besoin de revenir sur les souvenirs et les histoires familiers de son enfance afin de les voir maintenant avec un état d’esprit adulte plutôt qu’uniquement avec des yeux d’enfants. Avec ceux-ci, elle était un fardeau qui n’était pas et ne pouvait pas être aimé. Elle haïssait d’être l’enfant du rejet.

Lorsqu’elle commença à reconsidérer sa famille avec les yeux d’une femme plus indépendante et capable de compassion, elle vit que la vie des membres de celle-ci était dure pour chacun d’entre eux. Sa famille était terriblement pauvre. Elle admirait son père pour la dureté de son travail et sa fierté, mais elle l’avait rarement vu heureux. Sa mère semblait plus heureuse, mais Suzanne la percevait comme quelqu’un de complaisant envers elle-même et d’irresponsable. Elle était écœurée par sa mère et se haïssait elle-même de la détester. Elle était toujours dévorée d’envie et de jalousie envers ses frères et sœurs. Jeune fille, elle était convaincue que sa famille savait – d’une certaine façon – qu’elle était aux prises avec ces sentiments horribles et que c’était pour cette raison qu’ils en avaient fait le mouton noir. Adulte, elle sentait qu’en tant que chrétienne, elle devait s’élever au-dessus ces sentiments. Dans son cœur, elle se vivait en état de péché et remplie de honte. De tels sentiments pourraient, peut-être, être pardonnés par Dieu, mais ils ne méritaient ni l’intérêt ni la compassion de ses semblables les êtres humains.

En thérapie, Suzanne trouva de l’espace pour tous ses sentiments. Elle commença à comprendre comment sa colère et sa haine étaient une défense envers ses sentiments d’amour et l’impuissance qu’elle éprouvait à faire sa propre place dans sa famille. Elle perçu que la thérapie en était l’endroit pour elle. Elle était souvent surprise que je ne porte pas de jugement sur sa haine, sa jalousie ; que je ne la rassure pas sur le fait que sa famille la désire réellement ou avait fait du mieux qu’elle pouvait. J’étais intéressé par sa haine et rempli de compassion pour sa jalousie. Pour désagréables et socialement inacceptables que puissent être ces sentiments ; ils avaient infiniment de sens pour moi dans le contexte de sa vie. Ici, il devait y avoir une place pour ceux-ci, si jamais il dû y avoir une place pour elle … tout elle.

Il y eut de nombreuses fois où – effrayée ou désappointée – Suzanne devint furieuse contre le caractère « irréel » de la thérapie ; l’attaquant ainsi que moi-même comme créant «une étrange sorte de bulle qui n’avait rien à voir avec la vie réelle. » Elle disait avec dérision : « Peut-être que si tout le monde à l’université était en psychothérapie, tout ceci semblerait alors réel. » C’était une de ses manières de « quitter la scène », d’échapper à l’incertitude ou à la vulnérabilité de s’engager plus avant avec moi. Une partie de mon travail était de parler de la réalité de l’incertitude et de sa vulnérabilité, tout en poursuivant avec douceur (et si besoin était en insistant) l’exploration de nouvelles aptitudes pour sa vie hors du cabinet de thérapie. Elle découvrit que certaines personnes autour d’elle avait un éventail de compétences beaucoup plus large que les membres de sa famille. Elle réalisa que quelques personnes pourraient accueillir ses efforts timides (et parfois maladroits) dans l’essai de nouvelles aptitudes. Ce n’est pas facile par exemple de laisser tomber les sarcasmes et de dire : « j’ai peur ». Mais elle découvrit dans sa vie quotidienne quelques personnes qui semblait réellement préférer une Suzanne plutôt apeurée et timide qu’une Suzanne distante et sarcastique.

Je demeurais inébranlable dans l’idée qu’elle pouvait se créer un environnement différent. Sa plus grande surprise fut peut-être de constater que lorsque cela ne fonctionnait pas entre nous, nous réussissions généralement à en apprendre quelque chose, que nous ne prenions pas de distance l’un vis-à-vis de l’autre. Graduellement, elle put comprendre que les sentiments négatifs étaient l’indication de désirs demeurés méconnus et de problèmes à résoudre. Alors qu’elle approchait de la fin du traitement, elle demeurait encore facilement meurtrie, un peu trop rapide à engager une dispute (modérée maintenant par sa capacité à s’excuser et à revenir en lien) ; mais capable dorénavant d’imaginer une retraite riche de perspectives plutôt que plombée par de l’anxiété et un sentiment de perte. La vulnérabilité dont elle fit l’expérience en voulant que les gens la désirent et prennent plaisir avec elle était presque plus que ce qu’elle ne pouvait supporter. Elle avait toujours tendance à se retourner contre cette partie d’elle-même.

L’une de mes tâches en tant que thérapeute de Suzanne était de l’aider à percevoir les limites de l’environnement de son enfance. Très souvent simplement cela : combien il était limité. Tous les membres de la famille souffraient de manière différente des limitations du système familial et de leur monde où sévissait la misère. Comme pasteur, elle avait démontré une profonde capacité à la compassion et à l'indignation face à l’impact de la pauvreté sur la probité et les chances de réussite des familles luttant pour survivre. Cependant elle n’avait jamais été capable d’apporter cette compassion, cette compréhension à sa propre famille d’origine. Elle avait en fait utilisé les aptitudes familiales disponibles en matière de séparation et de dureté au travail comme un solide atout dans sa vie. Mais elle ne savait guère comment donner de l’amour, en recevoir, maintenir des relations chargées d’émotion, jouer, ou exprimer des sentiments et des désirs d’une manière qui aide ceux vivant autour d’elle à mieux la connaitre. Comprendre dorénavant les aptitudes limitées de sa famille et commencer à voir combien eux aussi souffraient dans leur propre vie pourvu Suzanne d’une vision très différente et plus compatissante à la fois sur elle-même et sur sa famille.

Elle tenta une réconciliation avec son frère et ses sœurs, mais seul un frère voulu bien – et plutôt timidement – l’inviter à nouveau dans sa vie. Son retour ne fut pas bien accueilli par les autres. Pour eux la coupure avait duré de trop nombreuses années. Elle ne fut pas pardonnée pour ce qu’ils considéraient comme un rejet de la famille. Elle avait fait de brefs retours au fil des ans. Des retours obligés. Les plus importants étant pour les funérailles de sa mère et de son père. Elle fut capable de ressentir et de pleurer la perte de sa famille et son espoir d’un endroit où être finalement reconnue comme un des nombreux malheurs accablant les siens. Un profond sentiment de regret remplaça la position de rejet et d’amertume qu’elle avait eue sa vie durant. Elle fut le témoin de mon admiration et de mes espoirs vis-à-vis de ses efforts pour se réconcilier avec sa famille. Elle fit l’expérience de mon accompagnement de sa déception et de sa douleur lorsqu’elle ne put reprendre une place dans la famille élargie. Elle su accueillir ce contact avec son frère et pris du plaisir à la place – plutôt fragile - qu’elle eut en tant que tante longtemps perdue de vue auprès de ses enfants et petits-enfants.

Peu de temps après que Suzanne eut achevé sa thérapie, une maladie immunologique incurable et attaquant le système nerveux fut diagnostiquée. L’évolution de celle-ci fut horriblement rapide. En l’espace de deux ans, il ne lui resta que très peu de mouvements volontaires, fut confinée dans une chaise roulante et vécut dans une maison de retraite entourée de patients de trente ans plus âgés qu’elle. Son mental ne faiblit cependant jamais. Je la vis souvent, d’abord chez elle puis à la maison de retraite et ce jusqu’à ce qu’elle meurt. Je ne la voyais pas en tant que thérapeute. Sa thérapie était achevée. Je la voyais comme quelqu’un qui avait gagné mon respect et pour laquelle j’avais une profonde affection. Je me sentais une responsabilité morale d’être avec elle tout au long de ce processus tragique. Seul son unique frère vint lui rendre visite au cours de ses deux années de maladie.

Un jour je demandais à Suzanne si elle était amère d’avoir fait de tels efforts au cours de sa thérapie et qu’en définitive, il ne lui reste que si peu de temps à vivre. « Non » répondit-elle, « je suis amère de mourir, mais jamais je ne regretterais la thérapie. Sans elle, je n’aurais jamais su ce que c’est d’être vivante. » Alors qu’elle se rapprochait de sa fin, elle me donna de nombreux livres de sa bibliothèque, tous résolument de gauche. Ces livres sont sur les étagères de ma salle d’attente. Ils peuvent être lus et empruntés par quiconque vient à mon cabinet.

Elle m’avait prié d’assister à ses funérailles et de parler avec ceux de sa fratrie qui souhaiteraient me parler afin de mieux la comprendre. Elle avait aussi demandé à ses amis et à son frère que ses funérailles soient séculières et qu’une amie chère – une pasteure lesbienne – officie.

Une dernière fois, la fratrie se scinda.

J’entrais dans le local des pompes funèbres pour découvrir littéralement deux funérailles. Une veillée mortuaire où le corps de Suzanne reposait en présence de la pasteure qu’elle avait demandée et ce sans connotations religieuses. Et une autre sans son corps mais avec un pasteur « convenable » et des prières. Deux membres de la fratrie dans une pièce, deux dans l’autre et personne sauf moi allant de l’une à l’autre. Les divisions et les discordes que Suzanne avait vécues avec tant de douleur étaient à rejoués même à son enterrement. Jusqu’à sa mort et au-delà, le scénario familial sur lequel Suzanne avait travaillé si durement pour le rejeter fonctionnait toujours à pleine puissance. Rarement ais-je vu une preuve aussi concrète d’un scénario familial en activité. Rarement ais-je ressenti autant de respect et de reconnaissance pour le travail thérapeutique accompli par un patient.

Juste avant de mourir, elle demanda aussi que je fasse quelque chose pour perpétuer le sens de sa thérapie, trouver une occasion de publier son cas afin que d’autres puissent peut être apprendre des efforts qu’elle avait réalisés. En débutant ce livre par l’histoire de Suzanne, je souhaite accomplir l’engagement que j’ai pris envers elle et rendre hommage à son courage et à sa détermination à développer un Moi plus cohérent. Au cours des quatre décennies et plus de ma pratique clinique, il y a eu de nombreux patients avec et par lesquels j’appris des leçons inestimables sur la nature et les responsabilités de ma profession. Suzanne fut l’un d’entre eux.

La thérapie est un co-travail. William F.CORNELL

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